par Émilie Fontaine, Laura Cliche et Emily Misola Richard
La prison à sécurité maximale où sont enfermés les détenus est triste et sale et tout particulièrement en cette journée étouffante où il fait plus de 40 degrés.
Après plus d’une heure d’attente à l’entrée de la prison sous un soleil de plomb, notre délégation internationale, comprenant 18 participants du Canada, des États-Unis et de l’Australie, peut entrer, mais non sans être soumis à des contrôles stricts, incluant la fouille à nue.
Notre premier choc fut l’âge des prisonniers. Il était impossible de rester insensible devant ce groupe composé en majorité par des jeunes entre 18 et 25 ans, dont deux femmes enceintes. Nous venions partager un message de solidarité avec les détenus, mais nous n’avons pu retenir nos larmes devant ces jeunes femmes et jeunes hommes privés de leur liberté de façon terriblement injuste.
Les travailleurs de la santé, incluant deux docteurs, une infirmière, une sage-femme et de nombreux volontaires, furent arrêtés le 6 février 2010 lors d’une fin de semaine de formation.
Le séminaire portait sur les soins d’urgence ; suite à un typhon qui a tué plus de 300 personnes dans la capitale en septembre 2009, les médecins ont été très critiques à l’égard du gouvernement philippin et sa lenteur à promulguer les soins de base à ses citoyens. Les travailleurs du domaine de la santé se sont associés pour crier leur indignation et s’organiser afin d’offrir eux-mêmes des services en cas de catastrophes. Pendant tout le processus, jamais ils ne se sont doutés être arrêtés et torturés pour une telle solidarité citoyenne.
Leur arrestation, en plus d’être illégale selon les lois philippines et internationales, a été perpétrée de façon brutale, laissant encore aujourd’hui des marques sur le corps des détenus. Le Docteur Montes, chirurgien d’expérience arrêté dans la foulée, nous a décrit ces moments comme étant humiliants autant pour l’arrestation subie que pour les conditions inhumaines de détention. Pendant plus de trois mois, ils ont été confinés dans un camp militaire où ils ont été torturés, harcelés sexuellement et interrogés en plein milieu de la nuit.
Jigs Clamor, visiblement éprouvé par l’emprisonnement de sa femme, a accepté de nous rencontrer pour nous faire part de sa détresse. Il nous explique comment ces techniques utilisées par l’armée ressemblent aux méthodes de la CIA : « Des électrodes ou des couronnes d’épines sont placées sur la tête, créant une sensation d’engourdissement et des douleurs constantes. Lorsque l’on dénonce cette torture de nos proches, on nous répond qu’il s’agit de procédure standard d’opération. »
Une jeune volontaire, qui vient d’avoir 18 ans, a partagé avec nous, la voix tremblante, la torture qu’elle a vécue : « Ils venaient me chercher en plein milieu de la nuit, m’arrachant de ma cellule et des bras de mes collègues pour m’interroger pendant des heures. Chaque fois qu’une femme était prise de la sorte, nous étions terrorisées en songeant aux châtiments que les soldats lui feraient subir.»
Quatre mois plus tard, aucune accusation officielle n’a été déposée contre les 43, rendant leur détention illégale selon les lois philippines. Les organisations locales des droits humains nous ont expliqué que malheureusement, il s’agit d’une façon commune d’harceler, et surtout de faire taire, toutes critiques face au gouvernement.
Cette arrestation de masse exacerbe le climat politique déjà insoutenable des dernières années. Selon les alliés locaux d’Amnistie internationale, plus de 1 100 activistes sont morts ou disparus lors des 10 dernières années. La Fédération internationale des journalistes a déclaré les Philippines le pays le plus dangereux au monde pour les journalistes, triste premier devant l’Irak et l’Afghanistan en situation de guerre. Le rapporteur spécial de l’ONU, Philip Alston, a condamné catégoriquement ces pratiques de répression par les autorités philippines, s’attaquant avec impunité à la société civile.
Jigs Clamor, dont l’épouse médecin est détenue, nous parle en serrant leur fils de quatre ans dans ses bras : « La seule chose que nous voulons, c’est que ces travailleurs de la santé soient relâchés, qu’ils puissent continuer leur travail auprès des démunis, et nous tâchons par tous les moyens de convaincre le gouvernement de nous écouter».
Devant une telle répression, la communauté internationale doit relayer ces cris d’injustice, et exiger que les autorités philippines se plient aux normes internationales.
Aujourd’hui, nous exigeons que le Canada réclame au nouveau gouvernement philippin, qui sera en poste le 30 juin 2010, la fin de ce régime de violence et de terreur.
Nous exigeons la libération immédiate et sans condition des 43 travailleurs de la santé.
Nous exigeons la libération de tous les prisonniers politiques philippins.
Nous exigeons l’application immédiate des recommandations du rapport de Philip Alston, Rapporteur spécial de l’ONU.
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Les trois auteures sont des militantes des droits humains qui ont représenté la société civile québécoise lors de la Mission d’observation internationale populaire des élections philippines, qui s’est déroulée du 7 au 18 mai 2010 aux Philippines.
Lors de la Mission, elles sont allées à la rencontre de prisonniers politiques et de leurs familles. De ce rendez-vous est née la campagne canadienne « Libérez les 43 travailleurs de la santé ».
Émilie Fontaine est conseillère politique de Serge Ménard, député de Marc-Aurèle Fortin et bachelière en communication politique de l’Université de Montréal.
Laura Cliche est une candidate à la maîtrise au département de science politique de l’Université de Montréal travaillant sur les questions de droits humains aux Philippines.
Emily Misola Richard est une étudiante en droit international à l’UQAM, qui complète présentement un stage à Manille pour l’Union nationale des avocats philippins.
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