Lettres d'une première visite aux Philippines

Émile, 20 ans, est parti en voyage de solidarité internationale aux Philippines au début de février 2010. Faites de surprises, de découvertes du pays et de ses habitants, et de découverte de soi, ses lettres éloquentes nous font revivre nos propres expériences et renouvellent nos attaches à ce pays du sud-est asiatique. Le Centre d'appui aux Philippines a facilité son séjour.

LETTRE NO. 1
Bye-bye "confort occidental"

Le 14 février 2010

Lettre à mon père,

J'ai eu une première journée à Manille assez "rock'n roll"! En arrivant à l'aéroport, je disposais d'une feuille avec une adresse écrite dessus, celle du "Bayan office". Bayan est une organisation progressiste qui s'occupe de coordonner les efforts et actions de plusieurs groupes d'activistes, c'est "the umbrella organisation" comme ils disent ici. J'étais supposé m'y rendre pour rencontrer Rita, la femme qui s'occupe des relations internationales. J'ai donc pris un taxi pour m'y rendre. En chemin, j'ai pu constater le chaos absolu qui règne dans cette ville de Manille. Evidemment, comme bien des pays en Asie, la circulation se fait de manière un peu aléatoire, les voies de circulations ont l'air d'être là pour décorer. Et, il fallait s'y attendre, le trafic est terrible, à toute heure de la journée. J'ai pu constater les extrêmes inégalités sociales du pays. En regardant autour, on peut voir des zones urbaines très pauvres où des bidonvilles s'étendent sur des kilomètres et en levant un peu la tête, on peut apercevoir les gratte-ciels un peu plus loin. Les routes sont construites à la va-comme-je-te-pousse et on a vraiment une impression de désordre total. Plusieurs villes annexes comme Manille, Quezon city, Pasai etc. font partie intégrante de ce qu'on appelle Metro Manila. Je te décris tout cela mais tu le sais probablement déjà!

En arrivant au Bayan office, j'ai sonné à la porte et un garde est venu m'ouvrir. Je lui ai dis que j'étais là pour Rita mais elle n'était apparemment pas là. J'avais également un autre nom sur ma feuille, Aya. Le gars m'a mené jusqu'à elle mais elle non plus, ne m'attendait pas. J'ai fini par parler à Rita au téléphone et elle m'a indiqué qu'en fait, ce n'était pas là que j'aurais dû atterrir. Elle m'a envoyé un chauffeur qui m'a conduit à bon port. L'endroit où je suis alors arrivé s'appelle le KMU, c'est ici que je loge. C'est le "office" d'un groupe progressiste qui milite pour les droits des travailleurs. Ils m'ont bien accueilli mais j'étais un peu perdu et confus. Je me suis installé dans un de leurs dortoirs, j'ai pu prendre possession d'un lit. 2 heures plus tard j'ai été rencontré le groupe avec lequel je vais faire du bénévolat, le "Centre for Environmental Concerns". On a discuté un peu et on a décidé que j'accompagnerais un géologue et quelques autres personnes à Rapu-Rapu Island, une île dans la province d'Albai. Leur mission là-bas est d'éduquer et d'organiser la population à propos d'un certain système de filtrage d'eau et d'irrigation qu'ils vont installer. Cette île est très affectée par l'exploitation de plusieurs mines. Le gouvernement philippin a décidé d'entreprendre des travaux d'excavation sans tenir compte de la population locale, ce qui provoque énormément de problèmes en ce qui a trait aux moyens de subsistance des habitants. La pollution créée par l'exploitation des mines est en train de détruire l'écosystème de l'île.

Depuis cette rencontre, j'ai eu la chance de rencontrer un groupe activiste d'étudiants, la League of Filipino Students. J'ai discuté longuement avec certains des membres pour comprendre l'histoire de leur groupe et leurs revendications. Ce fut un bon moment passé en leur compagnie. J'ai également été à des protestations avec le KMU. Ils vont à des endroits stratégiques au centre-ville et débarquent avec des pancartes sur lesquelles des slogans dénonciateurs sont inscrits. Ils ont également installé un mégaphone sur leur grosse caravane et avec un micro, ils dénoncent les crimes commis par le pouvoir en place. C'était vraiment une expérience hors du commun de les assister et de regarder comment ils s'y prennent. Ils arrivent généralement à s'entendre avec les policiers qui s'assurent que tout se déroule dans l'ordre, sans intervenir.

J'ai également eu une séance d'orientation concernant les problèmes environnementaux aux Philippines. Ce fut très instructif. J'apprends énormément de choses qui sont en relation directe avec les études (études internationales, axées sur le développement international) et le métier que je veux faire plus tard. Vivre avec ces communautés me permet de comprendre le système de l'intérieur et de saisir les revendications des groupes activistes et les solutions qu'ils proposent. Après le choc de la première journée, je me suis très bien intégré.

Je suis aussi sorti de mon "confort occidental"! Je me lave avec l'aide de seaux d'eau et je côtoie les cafards lorsque je vais aux toilettes! Les toilettes n'ont pas de chasse d'eau, il faut remplir un seau d'eau et le verser dans la toilette pour que le tout se déverse. Ça me fait du bien de vivre une expérience telle que celle-ci et de prendre conscience d'un monde qui est beaucoup plus limité en termes de ressources que le mien. Et encore, je ne vis pas dans les bidonvilles.

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LETTRE NO. 2
Comment nourrir les requins
Le 21 février 2010
Salut Marie,

Voici la suite de mes aventures!

Mon voyage à Rapu-Rapu a été une expérience assez inoubliable. Je suis parti avec deux personnes, un géologue et une fille qui travaille au "Centre for Environmental Concerns (CEC)". Le but de ce voyage était d'apprendre à la population locale comment s'y prendre pour s'assurer que l'eau des rivières est toujours potable et surtout, collecter des données pour monter un dossier qui indiquerait les impacts causés par l'exploitation des mines. Ce projet s'inscrit dans un vaste programme de prévention monté par le CEC. Les activités minières ont déjà causé pas mal de troubles aux populations locales (glissements de terrain, contamination des poissons au mercure et au cyanure, ce qui implique des difficultés à vendre les poissons, réduction des récoltes etc.). 

Nous sommes donc partis avec du matériel qui allait permettre aux habitants de Rapu-Rapu de faire des tests et d'amasser les données nécessaires. Nous avons voyagé de nuit, par autobus, pour nous rendre dans la province d'Albay, à Legazpi (la capitale), un trajet de douze heures. En arrivant, nous nous sommes rendus chez une femme de 47 ans qui travaille avec le CEC et qui est très impliquée dans les mouvements progressistes. Elle parle le Bicol, la langue parlée par la population d'Albay et elle est familière avec les gens du village dans lequel nous nous rendions. Elle habite dans une demeure très "humble", en fait elle loue une chambre dans cette maison pour 800 pesos (un peu moins de 20$) par mois, tout juste ce qu'elle peut se permettre. Elle est une des personnes les plus souriantes et rieuses que j'aie jamais rencontrées, elle a vraiment l'air d'apprécier la vie, la preuve que l'argent ne fait pas le bonheur! Je suis toujours étonné, lorsque je voyage, quand je rencontre des gens qui ont eu une vie difficile et qui n'ont presque rien et mais qui sont indéniablement plus heureux que la majorité d'entre nous (Nord-américains ou Européens) qui n'ont jamais manqué de rien. Une anecdote m'a d'ailleurs fait réaliser à quel point nos deux modes de vie (à la dame et à moi) sont différents. Avant de partir pour Legazpi, j'ai acheté des cartes pour mettre des minutes dans mon cellulaire. Par contre, je n'ai pas acheté les bonnes mais la dame avait un cellulaire qui était compatible avec ces cartes. J'en avais acheté pour 2000 pesos (les appels internationaux ça coûte cher!), j’ai donc mis les minutes dans son téléphone. C'est un peu gênant de pouvoir s'acheter du temps de cellulaire qui équivaut à plus de deux mois et demi de loyer pour elle. Au moins elle n'aura pas à se soucier de son budget pour son cellulaire pour les prochains mois!

Elle nous a préparé un excellent plat philippin (je ne me souviens plus du nom exact) pour déjeuner, constitué d'oeufs, de tomates et de riz. Ce que j'aime avec les mets philippins c'est qu'ils sont simples mais bien préparés. Ce fut mon premier aperçu de la générosité des gens d'ici. Le peu qu'ils ont, ils le partagent avec toi. À midi et demi nous avons pris un bateau qui allait nous mener à Publecion, le village principal de l'île de Rapu-Rapu. Dès que je suis monté sur le traversier, tous les yeux se sont braqués sur moi. Les gens de là-bas ne sont vraiment pas habitués de voir des étrangers, ce n'est vraiment pas un endroit touristique. Encore là, ce n'était qu'un aperçu de ce qui allait se produire plus tard. Le trajet a duré environ trois heures et plusieurs personnes ont été malades, l'équipage du bateau s'amusait bien. Lorsqu'une jeune fille s'est mise à vomir par-dessus bord, un des marins s'est écrié : "Encore une qui nourrit les requins!".

Arrivés à Rapu-Rapu, nous avons emprunté un de ces fameux tricycles (une petite moto munie d'un compartiment avec un banc pour les clients) pour aller chercher des papiers que nous allions emporter dans le village où nous nous rendions. Je me souviens m'être dit : "Wow, voilà un village qui a été épargné par la modernité". Ici, pas de voitures, que des petites motos, des tricycles, des petites maisons faites en bambou et quelques maisons faites en béton. Lors de notre périple en tricycle j'ai vraiment expérimenté ce sentiment d'être le seul blanc sur l'île et d'être un de ces rares étrangers à passer par ici. Tout le monde me dévisageait avec curiosité. Les enfants surtout étaient extrêmement intrigués, pour la plupart d'entre eux j'étais probablement le premier blanc qu'ils voyaient. Une fois redescendus au port, nous sommes embarqués dans un minuscule bateau à moteur qui peut contenir tout au plus 8 personnes. Il n'y a pas de gros bateaux qui se rendent dans les petits villages de l'île et, étant donné qu'il n'y a pas de voitures, c'est le seul moyen de s'y rendre à moins de vouloir marcher dans la jungle pendant 5 heures. La mer est assez agitée dans ce secteur, ce fut donc un voyage d'une heure et demi assez mouvementé. 

En arrivant au village, je me suis rendu compte que Publecion est en fait une ville assez moderne en comparaison. Ici, même pas de tricycles ou de bicycles, juste une petite communauté de 148 familles qui vivent ensemble. Une des villageoises nous a accueillis dans sa maison, où s'entassent une quinzaine de personnes. On a dormi à même le sol, avec un petit tapis en osier en guise de matelas, entourés des habitants locaux. Je m'y suis habitué assez vite, quand on est fatigué, tant qu'on peut être à l'horizontal pas besoin de grand confort pour dormir. Le matin nous sommes allés prendre une douche sous une chute d'eau, c'était la douche la plus rafraîchissante que j'ai prise de ma vie, j'étais loin de regretter les traditionnelles douches modernes.

J'ai passé ma première journée à faire campagne dans le village et dans le village voisin avec deux des paysans locaux pour le parti "Anakpawis", un parti progressiste qui vise à faire respecter les droits des travailleurs. Les gens avec qui j'habite à Manille sont très impliqués dans cette campagne. Ce fut une très bonne expérience, j'ai pu faire connaissance avec les habitants du village. Tout le monde était, encore une fois, très étonné de voir un blanc dans les parages. Les enfants nous suivaient, ils m'approchaient autant qu'ils osaient et s'enfuyaient en riant et en criant dès que je me retournais, c'était assez marrant.

Le deuxième jour j'ai assisté aux cours que le géologue donnait, c'était intéressant de voir que des villageois de tout âge y prenaient part. On voyait vraiment une volonté d'apprendre, les gens du village étaient très reconnaissants et enthousiastes. Ils m'ont d'ailleurs remercié maintes fois d'être venu dans leur village et je me suis empressé de les remercier de m'accueillir si gentiment. Encore une fois j'ai été frappé par leur générosité et par le fait qu'ils partagent le peu qu'ils avaient avec nous. Le lendemain la formation s'est terminée et nous sommes retournés à Publecion en après-midi. C'est d'ailleurs sur le chemin du retour que j'ai attrapé mes premiers coups de soleil, l'empreinte traditionnelle du touriste!

Nous avons passé une dernière nuit à Publecion, chez un vieillard qui vit entouré de sa nombreuse famille. Sa demeure est vraiment très agréable et confortable, il y a quelques petites maisons en bambou et il possède un petit magasin qui s'apparente un peu à nos dépanneurs. C'est chez lui que j'ai pris part au sport national pour la première fois : le karaoké. J'ai oublié de mentionner qu'aux Philippines pratiquement tout le monde possède son ensemble de karaoké. Même dans le minuscule village où nous sommes allés, il n'y a pas de téléphones ni d'internet mais ils ont leur karaoké. Aux Philippines les gens ne sont vraiment pas gênés, ils se contrefichent du fait qu'ils ne savent pas chanter, ils s'amusent c'est tout.

C'est vraiment une excursion qui m'a fait réaliser que la façon dont on vit dans le "monde moderne" nous empêche d'apprécier les choses simples. La vie en communauté a quelque chose de plus "humain" que notre mode de vie dit individualiste, il y a quelque chose de plus "vrai" dans cette façon de vivre. Il est évident que la vie en communauté a aussi ses inconvénients et que l'individualisme a de nombreux avantages mais il y a certainement un équilibre entre ces deux modes de vie qui peut être atteint.

À la prochaine!

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LETTRE NO. 3

Comment j'ai appris à manger avec mes mains

Le 25 février 2010

Une journée à faire campagne à la campagne - "La journée la plus épuisante de toute ma vie"

Mardi matin (si à 3:00 am on peut déjà parler de matin), je suis parti faire campagne pour le parti Anakpawis, un parti politique progressiste qui milite pour les droits des travailleurs aux Philippines. Pour ceux qui ne le savent pas, des élections présidentielles vont avoir lieu ici, le 10 mai 2010. Le pays est donc en plein effervescence politique. Donc, après avoir dormi environ 3h, je me suis engouffré, avec 16 autres Philippins, dans un jeepney que nous avions loué pour la journée (les jeepneys sont des jeeps militaires américains qui datent de la 2e guerre mondiale, c'est le moyen de transport le plus utilisé aux Philippines, c'est donc une sorte de taxi collectif très abordable). Ces jeepneys ont beau être assez spacieux, nous étions tout de même assez coincés. Ce jour-là, nous allions faire campagne dans la région de Hacienda Luisita (où on fait la culture de cannes à sucre) qui est connue pour un événement tragique survenu en 2004. Alors que les travailleurs de la région étaient en grève, la police et l'armée ont effectué un raid. 14 personnes ont été tuées et 200 autres ont été blessées. Même avant de partir, j'avais entendu parler de ce massacre et j'ai également visionné un reportage à ce propos. J'étais donc assez curieux de visiter cet endroit dont tout le monde parlait.

À moitié endormis, nous avons effectué le trajet d'environ trois heures pour nous rendre dans le premier village où nous allions faire campagne. C'est là que nous nous sommes joints aux partisans de Satur Ocampo et Liza Maza, deux candidats au sénat supportés par Anakpawis. Une longue procession de véhicules (jeepneys et petits camions) armés de mégaphones constituait leur suite. C'est à ce moment que j'ai appris comment on faisait campagne ici. On a commencé par faire cracher la musique d’Anakpawis (2 chansons en rotation scandées en tagalog qui incitent les citoyens à voter pour le parti) par le mégaphone installé sur le toit du jeepney. Le volume est assez élevé, au début ça semble marrant mais après quelques heures on a mal à la tête et ça devient plutôt insupportable. Ensuite, on s'arrête à des endroits stratégiques et on distribue des pamphlets qui décrivent le programme du parti. Tous les véhicules (et il y en a pas mal, au moins une cinquantaine) se suivent et s'arrêtent aux mêmes endroits. Une fois qu'on a distribué des brochures à presque tout le monde aux alentours, on attend que la file des véhicules reparte, ça peut parfois prendre une demi-heure ou une heure. En fait le temps d'attente fait partie intégrale des campagnes, curieusement c'est ce qui est le plus épuisant. Attendre, dans une chaleur accablante que quelque chose se passe, nous fait ressentir le manque de sommeil. Par la suite, quand on repart, on fait parade dans la ville (ou village) en agitant la main à travers le jeepney et en criant ANAKPAWIS!

Vers midi, on s'est arrêté en pleine campagne, entre deux champs de cannes à sucre, en plein Hacienda Luisita. C'est là que la chaleur est la plus terrible. Au moins 40-45 degrés au soleil. Le simple fait de marcher était assez éreintant. Au loin, on pouvait apercevoir des paysans qui travaillaient dans les champs. Je ne peux même pas imaginer le fait de travailler dans un champ, à cette température, emmitouflés de bandeaux et de foulards pour se protéger du soleil quand j'arrive à peine à supporter la chaleur en étant immobile. Les paysans ne font pas plus de 9.50 pesos (1 dollar canadien équivaut à environ 48 pesos) par semaine pour travailler dans ces conditions inhumaines. C'est la classe dirigeante qui s'est approprié les terres lorsque l'Espagne a colonisé les Philippines. Bien que les Philippines ont été reconnues comme pays indépendant (alors que le pays était sous domination américaine) le 4 juin 1946, les paysans n'ont toujours pas recouvré leurs terres.

La population locale est tout de même très contente de nous voir, ils sont enchantés que le parti et les candidats au sénat qui militent pour leurs droits se rendent dans leur coin. En effet, certaines régions sont assez difficiles d'accès, la plupart des routes ne sont pas pavées et nous avons dû nous camoufler le visage avec des foulards pour ne pas avaler la poussière qui se soulevait lorsque les véhicules circulaient.

Les Philippins se sont bien amusés à mes dépends en me regardant manger du riz et des légumes avec mes mains. Ils ont une technique bien particulière que je ne comprends pas encore. Je n'arrive pas à saisir comment ils arrivent à manger du riz imbibé dans la sauce avec leurs doigts, je crois que c'est un truc métaphysique qu'eux seuls maîtrisent.

En après-midi, le manège s'est répété (aller de ville en ville avec notre mégaphone hurleur en faisant des bye-bye avec la main et s'arrêter de temps en temps pour distribuer des programmes en suant toute l'eau contenue dans nos corps) jusqu'à ce qu'il fasse sombre. Sur le chemin du retour j'avais un mal de tête assez coriace et je tombais de fatigue. Impossible de dormir dans le jeepney, aucun appui où poser ma tête et pas d'espace pour déplier mes jambes avec tout le matériel électoral à nos pieds. Je dis impossible mais je parle pour moi. Ces sacrés Philippins arrivent à dormir dans cette position, leur tête ballote de gauche à droite sans les réveiller, un autre truc métaphysique.

La femme qui m'a accueilli au KMU était de la partie cette journée-là et elle m'a expliqué qu'il fallait faire ces campagnes : "We have to fight for what we demand". C'était probablement la journée la plus épuisante de toute ma vie. Quand je pense qu'ils font ça régulièrement (certains le font même 5 fois par semaine), et sans rémunération, ça me fait réfléchir. Si tout le monde faisait sa part pour combattre les inégalités sociales (d'une manière ou d'une autre), les choses changeraient. Si chacun et chacune faisait ne serait-ce qu'un minuscule effort chaque jour pour supporter les populations en crise, on arriverait à régler pas mal de cas. Mais on est encore loin d'assister à quelque chose qui s'y rapproche. Alors que certains dédient leurs vies pour ce genre de cause, d'autres passent leur vie à éviter d'y penser. Il y a un défaitisme profond qui est ancré en nous : "Ah, qu'est-ce qu'on peut y faire, de toute façon ça ne changera jamais, c'est l'ordre des choses et il faut l'accepter ". Ce qui est faux, des actions individuelles isolées arrivent à contribuer aux succès de certaines actions dites "progressistes" et même parfois à prolonger ou à sauver des vies. On est simplement découragé par l'ampleur de la tâche quand on adopte une approche globale de ces problèmes. L'ennui c'est qu'on se voit tout seul à essayer de changer la face du monde. C'est certain qu'avec cette vision, on se démoralise. Si tout le monde se disait, je vais faire ma part, peu importe le reste, ça changerait tout. Mais la question est : "comment amener les gens à penser de cette façon?"

J'avoue ne pas encore avoir trouvé de réponse définitive à cette question, bien que j'aie certaines idées. Il faut vraiment que quelque chose d'important se produise dans nos vies pour qu'on sorte de notre confort et notre paresse et qu'on se mette à changer notre façon de d'appréhender la réalité. Le fait d'être immergé dans ce milieu activiste m'oblige à réfléchir à ce genre de considérations. Et à vous communiquer ce discours rempli de naïveté! Mais je le vois déjà, une fois rentré au bercail, ça deviendra extrêmement difficile de continuer à "faire ma part", quand on est loin de la misère, on y pense moins et on s'enlise dans notre routine, c'est vrai quoi, on a tellement de choses auxquelles on doit penser et tellement de choses à faire pour continuer à vivre confortablement. Si en plus on devait penser au confort des autres, où trouverait-on le temps pour relaxer et se détendre? Ces deux dernières phrases semblent renfermer un certain sarcasme mais je voulais également les exprimer littéralement. Si on se met à "faire notre part", on doit sacrifier du temps libre (on en a déjà pas beaucoup) et c'est un sacrifice assez difficile à faire. J'aimerais bien formuler une conclusion qui règlerait tout mais encore une fois, je n'ai pas de solution absolue. À ce stade de réflexion, j'en suis à penser que le meilleur moyen d'accorder tout ça est de trouver un équilibre. Trop de travail, c'est malsain, ça nous épuise. Mais trop de temps libre, c'est également malsain, ça nous rend amorphes et ça peut devenir démoralisant. Reste encore à déclencher le déclic qui nous pousse à "faire notre part"....

Et vous, vous en pensez quoi?
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LETTRE NO. 4:

Salut tout le monde,

Depuis que je suis arrive, il m'est arrive quelques anecdotes et j'ai participe a quelques activités dont je ne vous ai pas parle. ノtant donne que je n'ai pas d'histoire aussi rocambolesques que les précédentes, je profite du temps libre que j'ai pour partager quelques tranches de vie avec vous.

Jazz et fine cuisine

Le jour même de mon retour de la fameuse ile Rapu-rapu, j'ai eu la chance d'assister a un concert de jazz dont le but était d'amasser des fonds pour le candidat au sénat Satur Ocampo dont je vous ai déjà parle. Pour vous en dire un peu plus long, Satur Ocampo et Liza Maza sont les deux seuls candidats progressistes au sénat. C'est pourquoi tous les groupes activistes se mobilisent présentement pour appuyer leurs campagnes respectives. Je suis moi-même déjà vendu a ces célébrités politiques. J'ai d'ailleurs eu la chance de les rencontrer lors de ma "journée de campagne a la campagne".

Donc, cette soirée s'est déroulée dans une grande salle (il devait y avoir aux alentours de 200-300 personnes je crois, j'ai toujours été très mauvais pour estimer le nombre de personnes dans une foule) agrémentée d'un buffet assez imposant. Malheureusement, je n'ai pas beaucoup profite de ce buffet car, honte sur moi, je venais juste d'aller souper chez McDonald. Blasphème me direz-vous, mais après avoir manger du poisson et du riz matin, midi, soir pendant trois jours a Rapu-rapu, j'avais besoin de faire un retour a mes infâmes racines américaines. De plus, je n'étais pas au courant qu'il y allait avoir de la nourriture a cette soirée, j'espère donc que vous me pardonnerez.

Bref, cessons ces banals propos gastronomiques. N'étant pas un grand connaisseur de jazz, je ne m'attendais pas a apprécier pleinement le spectacle. J'ai vite été remis a ma place. La chanteuse philippine, du nom de Scarlett, était incroyable tout comme le "band" qui l'accompagnait, je vous invite d'ailleurs a faire des recherches pour entendre sa musique, ça en vaut la peine. Il y avait également un danseur et une danseuse qui assistait les prestations, le tout était très bien réussi. Ensuite Satur Ocampo a enchaine avec un discours enflamme pour clore la soirée. Enfin, je dis enflamme mais je n'ai pas compris un traitre de mot de ce qu'il racontait puisque c'était en tagalog. ?a avait quand même l'air bien envoye, lâche pas Satur!

Funérailles

J'ai également pu voir comment la communauté d'activistes philippins traitent leurs leaders lorsque ceux-ci décèdent. Il y environ une semaine et demi, je suis parti avec les gens du KMU (l'endroit ou je loge, vous vous rappelez?) pour aller assister aux funérailles d'un leader d'une organisation de travailleurs. Je crois que c'était le RFM, je ne suis plus sur. C'était a environ 1 heure et demi de Manille, dans le "Southern Tagalog". Le tout s'est déroule sous un petit chapiteau. Il devait y avoir environ une centaine de personnes présentes. Les gens de la famille et les membres de son organisation prenaient la parole a tour de rôle pour lui rendre hommage et parler de son vécu. Il y avait également un groupe de musiciens qui ont chantes quelques chansons. Je n'ai pratiquement rien compris de ce qui se disait parce qu'encore une fois, tout le monde parlait tagalog. J'ai tout de même pu comprendre qu'ici, les activistes sont très respectueux de leurs meneurs et qu'ils continuent de les supporter même lorsqu'ils meurent. ?a correspond bien a ce que j'ai pu observe jusqu'à maintenant, cette tendance des philippins a être tournes vers les autres. Encore une démonstration des bonnes valeurs des gens qui m'entoure.

Les droits humains, un mythe plus qu'une réalité

Il y a quelque jours j'ai été prendre une bière avec un Néo-zélandais (ça sonne bizarre non?) qui travaille avec les gens du KMU. C'est d'ailleurs une des seules bières que j'ai bu depuis que je suis ici (je sais, je suis trop raisonnable). En fait, les activistes que je côtoie ne boivent pas tellement puisqu'ils n'ont presque pas d'argent et parce qu'ils préfèrent utiliser le peu d'argent qu'ils ont pour des choses plus essentielles. Moi et le néo-zélandais, on s'est donc faufiles en douce jusqu'à un bar pas trop loin d'ici. Alors qu'il me parlait de son travail qui consiste a accumuler de la documentation concernant la violation des droits humains aux Philippines, une madame qui devait avoir environ 50 ans est venu nous demander de l'argent. Voyant cela, un garde l'autre cote de la rue s'est précipite a sa rencontre pour lui ordonner de partir. Voyant qu'elle était plutôt réticente a partir, il s'est empressé de la pousser pour la faire sortir du bar. Elle n'a pas apprécie et elle a commencer a crier après le garde. Lui non plus n'a pas apprécie. Il s'est carrément mis a la battre. Moi et le Néo-zélandais, on s'est levés pour les séparer. Voyant la taille de mon compagnon (il doit faire un bon 6 pieds 3), le garde n'a pas insiste. Un dialogue sur les droits humains interrompu par un représentant de la loi qui se met a battre une femme sans défense, un beau contraste.

Oups

La fin de semaine passe, j'ai participe a une protestation contre le "Laiban Dam Project" avec la communauté indigène de Dumas. Vous pouvez trouver toutes les informations a ce propos a cette adresse :

http://www.facebook.com/notes/cec-phils/indigenous-peoples-and-environmentalists-to-san-miguel-corporation-forgo-the-lai/367085645041 (et tant pis pour ceux qui n'ont pas facebook! Il faudra le "google").

J'ai fais l'erreur de littéralement participer a cet événement. On m'a demande de tenir un drapeau de Kalikasan, un réseau de groupes qui vise a protéger l'environnement, et je l'ai fait. Le problème c'est que je ne suis pas supposer participe activement a ce genres de protestations, je pourrais me faire déporter et ne plus pouvoir revenir aux Philippines. Quand on m'a dit ça, je croyais que c'était une genre de blague mais c'est vrai. Je suis rester un peu plus d'une demie-heure sous un soleil brulant a tenir ce drapeau. Lorsque j'en ai parle avec des gens d'ici par la suite, on m'a vivement conseille de ne plus répéter ce genre d'actions. Une chance que c'était une petite manifestation, il n'y avait pas de forces de l'ordre sur place.

Chocolat chaud et agents gouvernementaux

Hier, je suis allé a une autre manifestation. Avec le secteur des étudiants cette fois. C'était pour s'opposer a l'augmentation des frais de scolarité a l'Université. C'est un débat assez chaud par les temps qui courent. Le système d'éducation se privatise de plus en plus et une grande partie de la population en age d'aller a l'école ne peut plus se permettre de payer aussi cher.

Avant de m'y rendre, j'étais dans un McDonald (encore!!) a boire un chocolat chaud avec un membre du LFS (League of Filipino Students). Nous étions en train de parler du système d'élections alors qu'un individu assez louche est venu s'assoir juste a cote de nous. Il est rentre dans le McDonald, n'a rien commande, et s'est dirige directement vers nous. Il nous fixait carrément en nous écoutant parler. Lorsque le gars du LFS a répondu a un appel sur son cellulaire, le drôle de type m'a demande si j'étais un étudiant. Je lui ai répondu que j'étais un touriste et nous sommes partis. Il ne nous a pas lâche des yeux jusqu'à ce qu'on sorte du Mcdonald...Mon compagnon m'a ensuite dit qu'il le soupçonnait d'être un agent des forces armées ou du gouvernement. Cela a ma rendu un peu nerveux mais on m'a rassure par la suite en me disant que ça arrivait souvent, bien que ce n'est pas très commode. L'endroit ou on se trouvait est un quartier fréquenté par des etudiants et il y a beaucoup d'agents dans ce coin. C'était probablement un agent qui avait déjà vu mon compagnon a des manifestations (car il y participe a chaque fois qu'il y en a une et il est toujours au front). On n'a plus vu personne de suspect par la suite et cette fois-ci, je me suis contenté d'observer la protestation.

À la prochaine.

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LETTRE NO. 5:
Conclusion Philippines

J’ai passé ma dernière fin de semaine aux Philippines à faire du camping à la plage avec une quinzaine d’amis. Ils ont fait affaire avec une agence de voyage pour organiser notre excursion. Nous avons voyagé de nuit, tous entassé dans une mini-van. Impossible de dormir, on était trop serrés. Le matin, nous sommes arrivés dans un petit village au bord de la plage. De là, nous avons pris un bateau pour se rendre sur une île où on a campé. J’ai passé la journée à me baigner, à prendre du soleil et à faire une sieste dans un hamac. La place était vraiment magnifique. On a fait la bouffe nous-mêmes au-dessus d’un feu, la vraie vie de camping. Le soir on a partagé deux bouteilles de tequila, assis en cercle sur un petit tapis en osier.

La discussion a été vraiment intéressante. Je n’étais pas avec mon traditionnel cercle d’activistes, en fait, on était avec les amis universitaires d’une fille qui est membre du Centre for Environmental Concerns. タ tour de rôle, on a discuté de nos rêves de vie. タ un moment donné, la discussion s’est orientée vers la politique. On a parlé des 43 travailleurs en santé qui sont détenus par les militaires que j’ai déjà mentionnés dans mes précédents messages. En fait, moi et la fille du CEC étions les seuls qui étaient au courant de ce fait d’actualité. Elle a d’ailleurs fait remarquer à ses amis que c’était plutôt étrange que j’en sache plus long qu’eux à ce sujet.

Cette remarque m’a fait réaliser bien des choses. J’ai côtoyé des activistes tout au long de mon séjour aux Philippines et c’était la première fois que j’étais en compagnie de gens qui n’étaient pas ォpolitiquement impliquésサ dans la cause des Philippines. C’est à ce moment que j’ai vraiment pris conscience que la majorité des Philippins (comme la majorité des gens en général) ne militent pas pour leurs droits dans leur pays. C’était un peu naïf de croire que c’était le cas, me direz-vous, mais en fait je le savais mais je n’en avais pas réellement pris conscience étant donné le milieu dans lequel j’étais émergé.

Cette situation m’a fait repenser à la réflexion dont je vous ai fait part sur le fait qu’il faut que chacun et chacune s’implique d’une façon ou d’une autre pour faire sa part dans le but d’améliorer les choses, socialement parlant. Tout cela pour dire qu’il y a vraiment un travail à faire pour sensibiliser les gens à ce genre de considérations. C’est peut-être un problème d’éducation. Si on avait des cours sur les grands enjeux internationaux dès le secondaire, la population se sentirait peut-être plus concernée par cette réalité et serait plus porté à se dresser contre les injustices sociales, ou peut-être pas! L’important c’est de commencer à y réfléchir, je suppose.

J’ai eu un autre "flash" lors de cette soirée. Les discussions deviennent tellement plus intéressantes et enrichissantes lorsque l’on se met à parler des ォvraies chosesサ (nos rêves de vie, nos croyances, notre façon de voir le monde etc.). Je me suis demandé pourquoi, dans la vie de tous les jours, on s’efforce autant à entretenir des conversations sur des banalités. Je suis d’accord qu’on ne peut pas constamment parler de choses aussi sérieuses et je suis le premier à prôner l’importance de rire et de blaguer le plus souvent possible. Mais les fois où on se met réellement à avoir des discussions intéressantes sont plutôt rares, de mon point de vue.

Évidemment, ça dépend des gens avec qui on est. On a tous des amis avec qui on parle plus profondément. Mais le fait de discuter comme cela, avec des gens que je ne connaissais pas, m’a fait prendre conscience qu’il n’y a rien de mal à ォse dire les vraies chosesサ même lorsqu’on ne se connait pas, ou très peu. Décidemment, la tequila, ça rend philosophe.


Journée internationale des femmes

Le dernier souvenir marquant de mon voyage : la journée internationale des femmes. C’est une des plus grandes manifestations de l’année à Manille. On était quelques milliers à marcher et à bloquer la circulation en criant des slogans. Il y avait une bonne énergie dans la foule, on se sent presque tout-puissant lorsqu’on fait partie d’un tel attroupement.

Ma première expérience aux Philippines va demeurer inoubliable, c’est certain. Je compte y retourner aussi souvent que possible. J’espère qu’avec ces petites histoires je vous ai donné envie d’aller faire un tour là-bas, pour ceux qui n’y sont jamais allés. Et pour ceux qui y sont déjà allés, d’y retourner!